Valérie Lang, la douce
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups.com
Stanislas Nordey et Laurent Gaudé sont habitués du Théâtre Ouvert, près de Pigalle. Ils reviennent cette saison, accompagnés de la formidable Valérie Lang, dans un monologue inspiré : « Sodome, ma douce ».
« Sodome, ma douce » | © D.R.
Jambes écartées, dans une pénombre à peine éclaircie par le scintillement des chaînes de laiton pendues en guise de rideau, sur une estrade noire, Valérie Lang, celle de Sodome, attend, languissante. « Le monde gronde et s’agite » autour d’elle. Elle, la dernière femme de Sodome détruite. Une rescapée figée dans une gangue de sel, que la pluie a fait fondre. Son corps nu témoigne d’un autre temps, revenu avec ses plaies, témoigner de la perte, prévenir les suivantes, prévenir. Car « aujourd’hui, quelque chose va advenir ».
La menace, maître mot de la dramaturgie de Sodome, ma douce. Ce ressort dramatique armé dès les premiers mots tend le monologue jusqu’à son terme sans un moment de faiblesse. Du fond des âges, la survivante du saccage de Sodome et Gomorrhe dresse le tableau apocalyptique d’une civilisation ravagée, détruite par la haine et l’amour mêlés. La haine des hommes, l’amour porteur de mort. Un ambassadeur, entré dans la ville par son charme, a inoculé la maladie vénérienne au peuple de Sodome. Sodome ne s’en relèvera pas.
Fascination et inquiétude, beauté et terreur
La douce de Sodome, Valérie Lang, survivante, renaît des cendres pour nous avertir des hommes, pourvoyeurs d’un mal toujours latent. Motifs récurrents comme dans Cendres sur la maison, les Enfants fleuves, ou Sofia douleur, la solitude, les rescapés de la mort et du saccage, la saleté, imprègnent l’imaginaire de Laurent Gaudé. Valérie Lang joue des effets d’hypotypose avec une sobriété et un rythme hypnotique, propres à rendre présente la moiteur des chairs trouées, la pustuleuse béance des plaies, les bubons, la blancheur de la ville pétrifiée dans le sel. Sodome, ma douce rend aussi la volupté des corps, interroge la présence charnelle de l’acteur, fait de la représentation ce trafic du désir dont parle Koltès. La nudité voilée d’obscurité de Valérie Lang en prise avec le texte, dans sa crudité, dans la simplicité d’une mise en scène de Stanislas Nordey, suscite fascination et inquiétude, beauté et terreur. Son corps dévoilé est une somme de contrastes, un lieu de théâtre et d’écoute à lui seul.
Droite, nue, dans un halo de lumière qui dessine son visage et le haut de son buste, les bras levés à la manière d’une caryatide soutenant sur elle le poids d’un monde coupable, Valérie Lang n’affiche pas un instant d’hésitation. Elle a le texte en corps, les mots en bouche, dans un jeu parfaitement maîtrisé, propulsant un monologue si ardu à son terme.
La volupté du corps et l’âpreté des images, la justesse de la direction d’acteur et l’inspiration d’une comédienne dessine une histoire de Sodome bien douce à entendre. ¶
Cédric Enjalbert
Sodome, ma douce, de Laurent Gaudé
Éditions Actes Sud-Papiers, Hors collection, février 2009, 40 pages, I.S.B.N. 978‑2‑7427‑8012‑9, prix indicatif 7,10 €
Mise en scène : Stanislas Nordey
Interprétation : Valérie Lang
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Stéphanie Daniel
Son : Daniel Zurcher
Collaboration artistique : Pier Lamandé
Théâtre Ouvert • 4 bis, cité Véron • 75018 Paris
http://www.theatre-ouvert.net/hp.php
Réservations : 01 42 55 74 40
Du 14 novembre au 3 décembre 2011, du mercredi au vendredi à 20 heures, mardi à 19 heures, samedi à 16 heures
Durée : 1 h 10
20 € | 15 € | 10 € | 8 €
Théâtre de Belleville à Paris • 94, rue du Faubourg-du-Temple • 75011 Paris
Réservation : 01 48 06 72 34
Métro : Goncourt (L 11) ou Belleville (L 2 ou L 11)
Bus 46 ou 75
Du 23 novembre au 30 décembre 2012
Du vendredi au samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures
20 € | 15 € | 10 €
Reprise coproduite avec le Théâtre de Belleville