Galliano et Marsalis :
le charme est intact
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups.com
Trompette, accordéon, piano, vibraphone : cette soirée qui peut paraître éclectique a pourtant son fil rouge, l’émotion musicale.
Richard Galliano et Winton Marsalis
© Jean-François Picaut
Kenny Barron accueille Stefon Harris : une belle rencontre
Ce soir, Kenny Barron, le grand pianiste américain venu de Philadelphie, accueille son cadet de trente ans, le vibraphoniste Stefon Harris pour un dialogue fructueux.
Dès les premières notes de Shuffle Boil (Thelonious Monk, It’s Monk Time, 1964), on reconnaît le toucher précis et chaleureux de Kenny Barron, et ça balance. Au marimba, Stefon Harris montre que frappe nette et virtuosité peuvent rimer avec musicalité. Cook’s Bay (K. Barron) commence comme une très délicate et très prenante mélodie, discrètement accompagnée par la batterie (Johnathan Blake) et la contrebasse (Kiyoshi Kitagawa), qui signe aussi un solo plein de douceur. Stefon Harris y pose élégamment ses notes de vibraphone et de marimba mêlées. Dans Softly as in the Morning Rise (Barron), le batteur, qui n’est pas un cogneur, dévoile ses qualités de fin rythmicien. Et s’il est capable de la plus grande virtuosité, il semble surtout occupé de sonorités. On apprécie les douces harmonies de Rain (Barron), solo de piano. Mais le soleil et le rythme dansant de Calypso (Barron) viennent nous égayer. Stefon Harris y montre une nouvelle fois tout son talent, et c’est une ballade qui vient, en rappel, conclure ce concert où l’émotion musicale était partout présente.
Winton Marsalis et Richard Galliano, From Billie Holiday to Edith Piaf : le charme fait toujours son effet
Le second concert de la soirée offrait la reprise de la fameuse soirée du 13 août 2008 gravée sur C.D. et sur D.V.D., avec le même personnel. Bien que le programme soit identique à deux exceptions près (Comes Love en ouverture et Miss Brown to You en rappel), le charme n’a rien perdu de sa force.
Le premier tonnerre d’applaudissements salue la Foule et la performance de Winton Marsalis, dont la trompette rend admirablement le tourbillon de la chanson. La longue exposition puis le solo de Walter Blanding (saxophone ténor) traduisent toute l’urgence fiévreuse qui caractérise Them There Eyes. L’accordéon de Galliano fait merveille pour introduire la complainte Padam. La trompette de Marsalis et le saxophone soprano de Blanding, cette fois, en expriment l’aspect déchirant. C’est une merveille de voir la compréhension intime de l’univers musical propre à Piaf qu’ont ces musiciens américains. What a Little Moonlight Can Do to You fournit à Ali Jackson (batterie) l’occasion de montrer l’étendue de son talent par un travail rythmique et sonore très délicat, successivement sur la seule charleston, puis sur ses caisses claires avec quelques accents de tom grave avant de terminer par les seules baguettes. Chapeau ! Sur ce titre, Galliano et Marsalis signent chacun un solo très brillant et virtuose. La rupture est franche avec Billie, l’admirable ballade composée par Galliano en hommage à la grande chanteuse. C’est le contrebassiste Carlos Henriquez qui se distingue particulièrement dans Sailboat in the Moonlight.
Mais le pic de l’émotion (est-ce si surprenant ?) est atteint avec Strange Fruit. Les arrangements mettent en valeur le caractère dramatique de la chanson, et Marsalis y est exceptionnel, accompagné par de brusques coups de tambourin et des accords graves inquiétants au piano (Dan Nimmer). On y entend une marche funèbre à l’accordéon, rendue plus dramatique encore par des roulements de tambour. Quant au chant, confié à la trompette et à la clarinette (Walter Blanding), il est proprement déchirant. L’émotion ne retombe plus ensuite avec l’Homme à la moto et, bien sûr, la Vie en rose.
Comment ne pas être reconnaissant à ces artistes de nous faire vivre de telles sensations ? ¶
Jean-François Picaut
Jazz in Marciac, 37e édition
Du 28 juillet au 17 août 2014 à Marciac (Gers)
Réservations : 0892 690 277 (0,34 € / min)
Site : www.jazzinmarciac.com